Le 21 novembre, la Cour Pénale Internationale (CPI) a délivré des mandats d'arrêt à l'encontre notamment de Benyamin Nétanyahou et Yoav Gallant, à la suite d'une demande formulée par le procureur de la CPI, Karim Khan, en mai. Elle a invoqué des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre dans le cadre du conflit entre Israël et le Hamas.
La CPI est la seule juridiction pénale internationale permanente. C’est un pilier du système global de justice pénale internationale. Elle est chargée de juger les auteurs des crimes internationaux les plus graves, elle permet de rendre justice aux victimes et contribue à empêcher qu’ils ne soient à nouveau perpétrés. La CPI a été créée par le Statut de Rome. 123 États en sont parties, dont la France qui l’a ratifié le 9 juin 2000. Depuis, la France apporte son plein soutien à cette juridiction en contribuant à son budget, en promouvant son universalité et en répondant à ses demandes de coopération judiciaire.
Comme évoqué ci-dessus, la CPI a émis deux mandats d’arrêt à l’encontre de Benyamin Nétanyahou, comme elle a pu le faire par le passé à l’encontre de Vladimir Poutine, qui serait responsable du crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et du crime de guerre de transfert illégal de population (enfants) notamment. Ce mandat d’arrêt avait été reconnu en 2022 par la communauté internationale dont les USA. La France elle aussi, avait respecté cette décision de la CPI, affirmant être « fidèle à son engagement de longue date pour lutter contre l’impunité ». Contrairement au mandat émis contre la Russie, les États-Unis ne reconnaissent pas celui contre Israël, un mandat jugé « scandaleux » par Joe Biden.
En Europe, la Belgique, les Pays-Bas, l'Irlande, la Lituanie, la Slovénie et l'Espagne ont donné les plus fortes indications qu'ils exécuteraient le mandat d'arrêt. Israël a réagi en qualifiant cette décision d’« antisémite » dans un communiqué diffusé par le bureau de Netanyahu, la décision de la juridiction, qui est, a-t-il dit, « comparable à un procès Dreyfus d’aujourd’hui qui se terminera de la même façon ».
On dit le droit par rapport aux faits, et non par rapport à un présupposé. Ce qu’il se passe à Gaza est documenté, est factuel, est tragique. Gaza, c’est près de 44 000 morts et 104 000 blessés depuis le 7 octobre 2023, au 19 novembre 2024. Les enfants sont les victimes les plus représentées parmi les victimes vérifiées. Les trois catégories d’âge les plus représentées sont les enfants âgés de 5 à 9 ans, les enfants âgés de 10 à 14 ans et les bébés et enfants âgés de 0 à 4 ans. Environ 80 % des victimes vérifiées ont été tuées dans des immeubles résidentiels ou des logements similaires, dont 44 % d’enfants et 26 % de femmes. Des boucliers humains du Hamas selon Israël, les considérant comme des « cibles militaires légitimes ».
Nous considérons à juste titre la partie qui bombarde responsable, tant sur le plan éthique que sur celui du droit, de la mort de civils lorsque ceux-ci sont utilisés comme boucliers humains, dans une logique qui n’est pas de proportionnalité, comme le dispose l’article 51 du protocole additionnel aux conventions de Genève. Malgré les appels au cessez-le-feu, Israël bombarde, bombarde, bombarde et utilise même à son tour les civils palestiniens comme boucliers humains. Ces derniers seraient, selon le *New York Times*, contraints d’explorer des maisons ou tunnels potentiellement piégés à l’explosif par le Hamas. L’armée israélienne les capturerait et les enverrait dans des zones dangereuses. Une pratique qui se serait généralisée depuis un an.
Qu’en est-il de la position française ? La France apporte son plein soutien à la CPI en contribuant à son budget, en promouvant son universalité et en répondant à ses demandes de coopération judiciaire. Ça, c’est en théorie. Dans la pratique, la diplomatie française est bien plus nuancée et déclare qu’elle entend continuer à travailler en étroite collaboration avec le Premier ministre Nétanyahou et les autres autorités israéliennes pour parvenir à la paix et à la sécurité pour tous au Moyen-Orient, malgré les mandats d’arrêt. La France va même jusqu’à considérer l’immunité pour le gouvernant Israélien.
Mais existe-t-elle réellement ? En principe, l’immunité existe : les plus hauts responsables d’États étrangers bénéficient d’immunités empêchant qu’ils soient arrêtés par les autorités et jugés par les juridictions des autres États. Cette immunité et cette inviolabilité protègent l’intéressé contre tout acte d’autorité de la part d’un autre État qui ferait obstacle à l’exercice de ses fonctions. Cette interdiction ne vaut pas, en revanche, pour la Cour pénale internationale. L’article 27 de son Statut le prévoit de manière explicite. Les immunités du chef d’État ou de gouvernement d’un État Partie ne peuvent donc être soulevées en cas de procédure à son encontre devant la CPI.
Pourtant, et telle est précisément la question posée dans cette affaire, il demeure l’hypothèse dans laquelle un État Partie au Statut de Rome – comme la France ici – est invité à arrêter et remettre le chef d’État ou de gouvernement d’un État qui n’est pas Partie au Statut de Rome - Israël ici. Dans le cas présent, la France est dans une situation complexe, obligée d’arrêter vis-à-vis de la CPI, elle a également l’interdiction d’arrêter vis-à-vis de l’autre État, en application de ce principe d’immunité.
D’autres cas, notamment pour des dirigeants de pays comme le Soudan, ont existé et brandissaient l’argument de l’immunité, qui les empêchait d’exécuter la demande de remise à la Cour en application de l’article 98 du Statut. Pour autant, la CPI a toujours rejeté cet argument. Elle a même condamné plusieurs États (parmi d’autres : Malawi, Afrique du Sud, Tchad, RDC) pour ne pas avoir coopéré. Malgré cela et concrètement, la France ne risque rien face à ce refus, la CPI ne disposant pas réellement de moyens de contrainte.
La situation est toutefois paradoxale, entre une France qui se targue de lutter contre l’impunité et une France qui défend sans concession un assassin, allant jusqu’à renier le droit international. La situation est d’autant plus paradoxale à l’observation des déclarations des représentants français quant à ce conflit. La France plaide, selon Jean-Noël Barrot, pour un cessez-le-feu, souhaitant une solution à deux États, que cesse la situation de colonisation en Cisjordanie et que le nombre de victimes gazaouis devient inacceptable. C’est une déclaration une nouvelle fois surprenante quand les actions de ces mêmes dirigeants la conteste. Dans un contexte, rappelons-le, où des gendarmes français sont maltraités à Jérusalem.
Dans cette déclaration, est particulièrement prônée la solution à deux États. Rappelons que la Palestine n’est pas un État reconnu par la France, au contraire d’Israël. Emmanuel Macron a réitéré précédemment qu'il avait la "volonté de le faire" mais "au moment utile, où ça déclenche des mouvements réciproques de reconnaissance". Une déclaration qui manque d’échos au regard de la situation. D’autant plus quand c’est une solution inimaginable pour Nétanyahou, qui a réaffirmé à plusieurs reprises son refus.
Alors que penser de l’annonce d’Emmanuel Macron, le 3 décembre dernier, de la coprésidence d’une conférence sur la création d’un État Palestinien ? Avancée humaniste penserez-vous. Nous émettons quelques doutes, parce qu’encore une fois, l’intérêt recherché est celui d’Israël et non pas celui des victimes civiles du conflit ou celui de l’existence d’un État Palestinien au territoire jadis exproprié. En effet, pour E. Macron, il s’agit de "déclencher un mouvement de reconnaissance en faveur d'Israël qui permettra aussi d'apporter des réponses en termes de sécurité pour Israël et de convaincre que la solution des deux États est une solution qui est pertinente pour Israël même".
La solution est celle à deux États et, dans une situation idoine, celle d’un État binational. La création d’une paix durable commencera par la justice. Contre le Hamas, contre Nétanyahou. La colonisation israélienne sur les territoires palestiniens, déjà divisés en deux entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, doit cesser.
Si la communauté internationale est encore légitime, si elle existe encore, si elle veut exister par la suite, les crimes de Nétanyahou doivent cesser et une démonstration de force doit être faite. À commencer par l’exécution de la décision de la Cour Pénale Internationale. Parce qu’aujourd’hui, le coup porté est rude pour la CPI, surtout de la part d'un de ses États fondateurs, qui se targue de surcroît d'être la « patrie des droits de l'homme ». La France a sapé, mercredi 27 novembre, l'autorité de cet organe judiciaire par sa communication, et amoindri le poids du mandat d'arrêt délivré six jours plus tôt par ses juges à l'encontre de Benyamin Nétanyahou, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité dans le contexte de la guerre à Gaza.
©2024 Ultimatum